Van Elder & Associates
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« Une définition extra extra large de la notion de valeurs contenue dans l'article 8 du Code des droits de succession » : Recueil Général de l'Enregistrement et du Notariat, décembre 2013 ;

Numéro S 8/33-02
33. - Notion de « valeurs »
02. - Le texte de l'article 8 C. succ. n'indique nullement que la notion de « valeurs » devrait être limitée aux effets publics (si on entend par là les actions et les obligations cotées en bourse).
Les polices d'assurance-vie qui sont des assurances-placements (entre autres pour l'ampleur des primes minimales à verser) doivent être considérées comme des « valeurs » telles qu'indiquées à l'article 8 C. Succ.
Dans le cas présent, les époux étaient mariés sous contrat de séparation de biens.
Au vu des polices d'assurance, il est apparu que :
- les primes minimales s'élèvent à 50.000€ ou 125.000€ ;
- le preneur d'assurance est l'homme ;
- les assurés sont l'homme et son épouse et lors du décès de l'homme, l'épouse devient automatiquement l'unique assurée ;
- En cas de décès du preneur d'assurance, tous ses droits et devoirs découlant du contrat d'assurance passent dans le chef du deuxième assuré, à savoir le conjoint survivant ;
- Les bénéficiaires sont : les enfants, uniquement au décès du conjoint survivant.
Les droits que le conjoint survivant reçoit lors du décès du premier assuré, et donc également le droit de donner le contrat d'assurance ou de mettre fin au contrat et réclamer le capital, représentent une valeur, appelée la valeur de rachat du contrat.
Le transfert de ces droits et donc du contrat d'assurance proprement dit, lors du décès du preneur d'assurance, au conjoint survivant sur base des dispositions du contrat d'assurance, tombe dans le champ d'application de l'article 8 C. Succ.
Lors du décès de l'homme, la valeur de rachat de la police d'assurance doit, en application de l'article 8, être taxée dans le chef de la femme.
(Déc. 4 décembre 2012, n° E.E./104.552)

Une définition extra extra large de la notion de valeurs contenue dans l’article 8 du Code des droits de succession.

La décision rendue est surprenante à deux égards. D’abord, parce que l’Administration conclut -principalement à la lumière de l’importance des primes - que le contrat d’assurance-vie est un contrat de placement. 
Ensuite, parce que forte de cette première conclusion, l’Administration considère que tous les droits transmis à l’épouse survivante qualifient de « valeurs » au sens de l’article 8 du Code des droits de succession (ci-après CS).

I. Le cadre de la requalification.

L’Administration n’est pas liée par la qualification que les parties ont donnée à leur acte, la nature juridique de celui-ci étant déterminée par la cohérence de ses modalités . Non seulement, l’Administration a le droit de substituer une autre qualification à la qualification erronée  que les parties ont donnée à leur acte mais elle en a, selon une certaine Doctrine avisée, l’obligation.

Autre application du droit commun , l’action en déclaration de simulation - impliquant ici que soit rapportée la preuve de la volonté des parties de dissimuler l’acte réellement convenu entre elles - offre un second axe de remise en cause d’un contrat conclu par un contribuable à des fins fiscales.    

Enfin, l’ex  mesure fiscale anti-abus contenue à l’article 106 § 2 du CS octroie à l’Administration un énième moyen de challenger une qualification choisie par les parties à dessein exclusivement fiscal dès lors qu’elle est en mesure de lui substituer une qualification qui épouse tous les effets de la convention querellée.

Ce qui est frappant dans un premier temps, c’est que la démarche de l’Administration ne semble s’inscrire dans aucun de ces cadres . 

II. La requalification en contrat de placement.

La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre définit le contrat d’assurance comme étant le contrat en vertu duquel, moyennant le paiement d’une prime fixe ou variable, une partie, l’assureur, s’engage envers une autre partie, le preneur d’assurance, à fournir une prestation stipulée dans le contrat au cas où surviendrait un événement incertain que, selon le cas, l’assuré ou le bénéficiaire, a intérêt à ne pas voir se réaliser.  

L’article 97  de la même loi dispose par ailleurs que le présent chapitre s’applique à tous les contrats d’assurance de personnes dans lesquels la survenance de l’événement assuré ne dépend que de la durée de la vie humaine. 

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce qui précède.

D’une part, la prestation de l’assureur est inexorablement liée à la survenance d’un événement.

D’autre part le caractère aléatoire du contrat découle de ce que cette prestation procède de la réalisation d’un événement incertain.

La réalité d’un contrat d’assurance est tributaire de ce que la prestation de l’assureur soit subordonnée à la réalisation d’un risque, à défaut duquel, enseigne M. Fontaine , le contrat est inconcevable. 

L’intervention de l’assureur est en outre attachée à la survenance d’un événement incertain, savoir le moment du décès de la tête assurée. 

La circonscription des conditions d’existence d’un contrat d’assurance-vie énoncées ci-avant - à défaut de définition dérogatoire du droit fiscal - procède du droit commun dont notamment de la loi sur le contrat des assurances terrestres. 

La Jurisprudence de la Cour de Cassation est constante à cet égard .

Est-il alors raisonnable de considérer sur la seule base de l’importance des primes payées par le preneur que les prestations de l’assureur ne répondent précisément pas aux conditions de prestations d’assurance-vie , et « dissimulent » ou « qualifient » en réalité un contrat de placement ?

Nous ne le pensons évidemment pas.

Il n’en reste pas moins que couplé à d’autres modalités stigmatisant notamment l’absence de risque assuré, l’inexistence de prestation d’assurance,…. l’Administration a pu conclure par le passé que certaines conventions étaient fictives et déguisaient en réalité de simples dépôts de fonds.

Cette position fut consacrée par la Cour de Cassation en date du 18 juin 1968  en matière d’impôts directs.

II. Quant à la notion de valeurs. 

Après avoir « requalifié » les polices d’assurance-vie en contrats d’assurances-placements, l’Administration affirme que ceux-ci doivent être considérés comme des « valeurs » au sens de l'article 8 CS.

L’Administration décide que les droits que le conjoint survivant a reçus lors du décès du premier assuré, soit le droit de cession et les droits sous-jacents dont le droit au rachat, représentent une valeur, appelée valeur de rachat du contrat laquelle doit être taxée dans le chef de l’épouse survivante.

L’imposition se réaliserait sur base de la valeur de rachat théorique (ou provision technique) diminuée de l’indemnité de rachat éventuelle  même si un doute est permis dès lors que l’on peut lire dans la décision commentée que l’Administration requalifie le contrat d’assurance pour l'ampleur des primes minimales à verser.
  
Le sens donné au terme « valeurs » de l’article 8 s’il n’est pas dépourvu de toute ambiguïté est-il pour autant destiné à couvrir une catégorie résiduelle à côté des « sommes » et des «  rentes » qui s’étendrait notamment aux droits de créances au sens large ?

Il est permis d’en douter.

D’abord parce que le Législateur, s’il avait eu l’intention de donner à cette disposition un tel champ d’application, se serait probablement exprimé autrement.

Ensuite, car la Doctrine la plus autorisée définit le sens de ce mot comme étant les titres d’actions ou d’obligations, c’est-à-dire les fonds publics en général .       

Cette acception semble en ligne avec celle traditionnelle du droit financier qui vise les actions et les obligations .   
L’Administration avait d’ailleurs récemment considéré dans une décision du 10 mars 2011 que le terme valeurs s’étendait à tous les titres cotés ou non .

Le doute est encore permis eu égard à la circonstance que la créance de rachat n’appartiendra à l’époux survivant que pour autant qu’il procède à la résiliation du contrat.

A contrario, en cas de décès du conjoint survivant préalablement aux enfants bénéficiaires, et à défaut de résiliation antérieure du contrat, le conjoint n’en retirera à priori aucun avantage patrimonial. La convention semble conserver un caractère aléatoire.

Cette résiliation peut par ailleurs être totale mais aussi partielle.   

Enfin parce qu’en cas de doute sur l’intention du législateur , une telle incertitude doit profiter au contribuable conformément au principe « in dubio contra fiscum » consacré par la Cour de Cassation le 13 avril 1978 .

Gaëtan Van Elder