Van Elder & Associates
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« Habiter aux frais de sa société, une opération risquée ? »: Revue Générale de Fiscalité N°10, octobre 2003 ;

Le présent article analyse les principales incidences juridiques, comptables et fiscales d’une opération consistant en la constitution à titre onéreux par un dirigeant d’entreprise d’un droit d’usufruit portant sur un immeuble nu ou bâti, dont celui-ci est plein propriétaire et ce, au profit de la société dans laquelle il exerce son activité professionnelle. 

Par la suite, l’immeuble bâti ou à bâtir serait mis gratuitement à disposition du dirigeant d’entreprise. 

L’objectif d’une telle opération est de permettre au dirigeant d’entreprise de se procurer rapidement des liquidités et de faire supporter par la société les charges inhérentes à l’immeuble bâti ou à bâtir qui sera mis gracieusement à sa disposition.  En outre, dans le cas d’un immeuble à bâtir, celui-ci deviendra la propriété du dirigeant d’entreprise à l’expiration du droit d’usufruit et ce sans que le droit proportionnel  de 12,5%/10% ne soit dû.    

Etant donné les avantages fiscaux que cette opération procure, l’administration fiscale a souvent tenté de la combattre de différentes manières, tantôt en taxant le dirigeant d’entreprise sur le produit de la cession de l’usufruit, tantôt en essayant de rejeter la déductibilité dans le chef de la société des frais inhérents à l’immeuble mis à disposition du dirigeant.

Dans le cadre de cette étude,  après un bref exposé des aspects juridiques, nous examinerons à la fois les conséquences comptables et fiscales d’une telle opération tant dans le chef du dirigeant d’entreprise que dans le chef de la société.  Pour ce faire, nous analyserons les différents étapes de l’opération à savoir : la constitution du droit d’usufruit, l’érection de bâtiments par la société usufruitière, la mise à disposition gratuite de l’immeuble par la société usufruitière au profit du dirigeant d’entreprise et enfin l’expiration du droit d’usufruit. Nous tenterons également de répondre aux moyens invoqués par l’administration pour combattre une telle opération.

I. LES ASPECTS JURIDIQUES DU DROIT D’USUFRUIT ET DE NUE - PROPRIETE 

L’objectif de cette rubrique n’est pas d’inventorier de façon exhaustive les droits et obligations de l’usufruitier et du nu-propriétaire mais plutôt de décrire les caractéristiques élémentaires des droits de nue-propriété et d’usufruit qui ne manqueront pas d’influencer le droit comptable et le droit fiscal. 

1.            Usufruit

L’usufruit se définit comme étant un droit réel permettant à son bénéficiaire d’user et de jouir temporairement d’un bien appartenant à autrui, à charge d’en conserver la substance et d’en jouir en bon père de famille .   

L’usufruitier est ainsi titulaire d’un double droits celui d’user de la chose,  le ius utendi et celui d’en percevoir les fruits, le ius fruendi. 

Le droit d’usage dont bénéficie l’usufruitier est aussi étendu que celui dont jouit le plein propriétaire, à savoir : le droit de se servir de la chose, conformément à sa destination.  L’usufruitier jouit des droits de servitudes et de passage et son droit s’étend aux immeubles par destination et à tout ce qui s’ajoute à la chose par accession .  

Le droit de percevoir les fruits porte sur les fruits civils ainsi que sur les fruits naturels, les premiers recouvrant généralement les revenus pécuniaires que l’on retire d’un bien au moyen d’un contrat qui en concède la jouissance à autrui, les seconds étant les produits du sol et des animaux.   

L’usufruit est un droit viager, c’est à dire que sa durée d’existence ne peut jamais dépasser la durée de vie de l’usufruitier et s’agissant d’un usufruit concédé à une personne morale, il ne peut excéder 30 ans . Cette règle est d’ordre public.

L’usufruitier est titulaire d’un droit réel, absolu, lui permettant d’agir directement contre les tiers en cas de trouble de jouissance. Il bénéficie des avantages découlant de la protection possessoire, de l’action en revendication, du droit de suite et de préférence. 

L’usufruitier peut en outre grever son droit d’une hypothèque  et consentir un droit d’emphytéose sur l’immeuble dont il est usufruitier. 

L’opposabilité aux tiers de l’acte de constitution d’usufruit est subordonnée à sa transcription à la conservation de l’hypothèque . 

2. Nue-propriété

Durant l’exercice du droit d’usufruit, le dirigeant d’entreprise ne dispose plus que d’une propriété  restreinte au ius abutendi, appelée nue-propriété.    

Le ius abutendi étant le droit de disposer, il implique le droit d’abandonner le bien,  d’en disposer juridiquement ou encore de le conserver et ce sans nuire aux droits de l’usufruitier conformément à l’article 599 alinéa premier du Code civil. Il pourra par exemple aliéner l’immeuble à un tiers sans porter atteinte aux droits de l’usufruitier et ce pour autant que l’acte de constitution d’usufruit ait été transcrit. 

II.          LES ASPECTS COMPTABLES ET FISCAUX LORS DE LA CONSTITUTION DE          

              L’USUFRUIT

1.     Dans le chef de la société usufruitière

1.1    Aspects comptables

Le traitement comptable du droit d’usufruit dans le chef de la société dépendra des modalités de paiement  de la contrepartie convenue par les parties. 

Lorsque l’usufruit est consenti moyennant le paiement de redevances payées par anticipation au moment de la conclusion du contrat,  la Commission des normes comptables, dans son avis 162/2 du mois de mars 1991   précise que la société usufruitière comptabilisera son droit réel à sa valeur d’acquisition sous la rubrique III. A. «Terrains et constructions ». Le droit d’usufruit étant par essence limité dans le temps, sa valeur d’acquisition, même s’il porte sur un bien dont l’utilisation n’est pas limitée dans le temps, sera prise en charge selon un plan approprié basé sur la durée du droit d’usufruit ou sur la durée d’utilisation économique de l’immeuble si cette dernière est plus courte.       

Lorsque l’usufruit est consenti moyennant le paiement de redevances échelonnées, le régime comptable de l’usufruit différera selon que la convention de constitution d’usufruit stipule que les redevances payées par le preneur permettent ou non la reconstitution du capital investi par le nu-propriétaire, outre les intérêts et les charges de l’opération. Dans l’hypothèse où les redevances payées par l’usufruitier permettent de reconstituer le capital investi par le nu-propriétaire, outre les intérêts et les charges de l’opération, l’on parlera de leasing financier ou full pay out. Dans le cas contraire, il s’agira d’un leasing dit opérationnel ou non full pay out.

Dans le cadre d’un leasing financier, l’article 95 de l’Arrêté Royal portant exécution du Code des sociétés précise en substance que sont portés sous la rubrique III. D. « Location-financement et droits similaires » les droits d'usage à long terme sur des immeubles bâtis dont la société dispose en vertu de contrats d'emphytéose, de superficie, de location-financement ou de conventions similaires dans la construction.

Il conviendra dès lors de comptabiliser à l’actif sous la rubrique III.D. au titre d’immobilisation corporelle détenue en location-financement les redevances échelonnées représentant le capital investi et de les amortir sur la durée normale d’utilisation du bien. On enregistrera au passif un montant équivalent sous la rubrique VIII.A.3 « dette de location-financement ». Lors du paiement des redevances, le montant de celles-ci se rapportant au capital sera porté en déduction de la dette alors que celui se rapportant aux intérêts sera comptabilisé au titre de charges.     

Dans l’hypothèse ou les redevances ne permettent pas la reconstitution du capital investi dans la construction (leasing opérationnel), ces dernières constitueront une charge de l’année à laquelle elles se rapportent. 

1.2.         Aspects fiscaux

1.2.1.     Droit d’enregistrement

En vertu de l’article 44 du code des droits d’enregistrement (C.Enr.), un droit de 12,5% / 10%  est dû en cas de vente, échanges et toutes conventions translatives à titre onéreux  de propriété ou d’usufruit de biens immeubles. Le droit est liquidé en ce qui concerne les ventes sur le montant du prix et des charges stipulées et en ce qui concerne les autres conventions translatives, sur la valeur conventionnelle de la contre-prestation stipulée à charge de l’acquéreur de l’immeuble. Toutefois, la base imposable ne peut en aucun cas être inférieure à la valeur vénale des immeubles transmis (Articles 45 et 46 C.Enr.). 

Lorsque l’usufruit est établi au profit d’une personne morale, pour un temps limité, à savoir 30 ans maximum, la valeur vénale  est représentée par la somme obtenue en capitalisant au taux de 4% le revenu annuel compte tenu de la durée assignée à l’usufruit sans que ladite valeur vénale assignée à l’usufruit  puisse être supérieure aux quatre cinquièmes de la valeur vénale de la pleine propriété (Article 47 C.Enr.).

1.2.2.     Amortissements

Il convient de noter qu’un usufruit consenti moyennant le paiement d’une redevance unique offre                  l’avantage à la société usufruitière de pratiquer des amortissements fiscalement déductibles indépendamment du bien sur lequel il porte . Dès lors, lorsque l’usufruit porte sur un terrain non bâti, la société usufruitière pourrait pratiquer des amortissements sur la durée d’utilisation du droit. 

Il faudra cependant veiller à ce que le prix payé pour l’usufruit représente la valeur de marché.  En effet, si le prix comporte un surprix, indépendamment des conséquences dans le chef du dirigeant d’entreprise (V. infra), la société usufruitière pourrait se voir refuser la déductibilité fiscale de l’amortissement à due concurrence.

1.2.3.     Précompte immobilier

La société usufruitière sera redevable, sauf convention contraire, du précompte immobilier lequel constituera une charge professionnelle déductible.  

2.           Dans le chef du dirigeant d’entreprise

Etant donné que nous partons de l’hypothèse que le bien donné en usufruit ne fait pas partie du patrimoine professionnel du dirigeant d’entreprise, nous limiterons notre analyse uniquement aux aspects fiscaux et non comptables de l’opération.

  2.1.       Revenus Immobiliers

Les redevances obtenues par un dirigeant d’entreprise en contrepartie de la constitution d’un droit d’usufruit ne constituent pas des revenus immobiliers imposables.  

En effet, les termes « droits immobiliers similaires » que l’on retrouve dans l’expression « sommes obtenues à l’occasion de la constitution ou la cession d’un droit d’emphytéose ou de superficie ou de droits immobiliers similaires » reprise aux articles 7, §1, 3° et 10, §1, al 1 du CIR ne s’étendent pas aux sommes obtenues à l’occasion de la constitution d’un usufruit.

Le commentaire 10/6 du Code des impôts sur les revenus précise à ce sujet que les sommes obtenues à l'occasion de la constitution ou de la cession d'un droit d'usufruit portant sur un bien immobilier sis en Belgique ou à l'étranger ne constituent pas des revenus de biens immobiliers pour l'application de l'impôt des personnes physiques. 

Le Ministre des Finances en réponse à une question posée à ce sujet par M. De Clippele en date du 27 juillet 1987 a lui même précisé que l’usufruit ne peut être assimilé à un droit immobilier similaire alors que de son côté le législateur  avait précisé que cette expression recouvrait tous les droits d’usage à long terme portant sur des biens immobiliers. 

2.2.       Revenus mobiliers

La partie des redevances se rapportant aux intérêts payés dans le cadre d’un leasing financier donnera lieu à la perception d’un précompte mobilier.   

1.2 Revenus de dirigeant d’entreprise dans la mesure où les loyers excèdent les cinq tiers du revenu  

            cadastral 

Il résulte de l’article 32 CIR que les rémunérations des dirigeants d'entreprise sont toutes les rétributions allouées ou attribuées à une personne physique qui exerce un mandat d'administrateur, de gérant, de liquidateur ou des fonctions analogues et notamment, par dérogation à l'article 7 CIR, le loyer et les avantages locatifs d'un bien immobilier bâti donné en location par ces derniers à la société dans laquelle ils exercent leur activité, dans la mesure où ils excèdent les cinq tiers du revenu cadastral revalorisé en fonction du coefficient visé à l'article 13 CIR. 

Cette mesure législative avait été adoptée en vue de mettre fin à la technique d’évasion fiscale qui consistait, pour les dirigeants d’entreprise à transformer un revenu professionnel en revenu immobilier pour les immeubles qu’ils donnent en location à leur propre société.

Toutefois, dans une circulaire du 4 mai 1993 , l’Administration précisait que, outre les immeubles non bâtis, la disposition précitée n’est pas d’avantage applicable aux immeubles bâtis dont le droit d’usage est cédé en vertu d’une convention d’emphytéose, de superficie ou d’usufruit ou en vertu de droits immobiliers similaires tel un contrat de leasing immobilier.  

Le Ministre des Finances a cependant rappelé à plusieurs reprises que l’article 32 CIR ne pouvait s’appliquer dans le cadre d’un contrat d’usufruit pour autant que l’acte dressé reflète la réalité et n’est donc pas simulé.  En outre, il est toujours loisible à l’Administration d’invoquer l’article 344 §1 CIR et  le cas échéant, de qualifier une convention de constitution d’usufruit en une convention de bail lorsqu’elle établit que cette qualification a été adoptée dans le but d’éviter l’application de l’article 32 alinéa 2,3° CIR. 

Le Tribunal de Première instance d’Anvers a rendu récemment deux jugements à ce sujet, un premier datant du 19 juin 2002 et un second en date du 6 janvier 2003.

Les faits de la cause du premier jugement sont les suivants. En date du 29 décembre 1994, une personne ayant la qualité d’administrateur délégué d’une société anonyme ainsi que son frère ont constitué un droit d’usufruit moyennant le payement d’un prix unique de BEF 13.000.000 au profit de ladite société anonyme sur une partie des bâtiments d’une valeur de BEF 10.209.836 dont ils étaient co-propriétaires.

L’Administration décida de requalifier dans le chef du dirigeant d’entreprise la convention de constitution d’usufruit en convention de location à long terme. 

Elle considéra que compte tenu que la convention prévoyait un prix disproportionné par rapport au coût d’acquisition de la partie des immeubles sur laquelle portait l’usufruit, il était dès lors évident que l’objectif poursuivi par les parties était d’éviter l’impôt.     

Le Tribunal décida d’annuler la cotisation enrôlée à charge du dirigeant d’entreprise sur base des arguments suivants :

• Le simple fait que le prix de cession de l’usufruit est disproportionné par rapport à la valeur d’acquisition de l’immeuble démontre uniquement que le prix de cession de l’usufruit est exagéré et non pas que la qualification juridique donné à l’acte a pour but d’éviter l’impôt ;

• Même si l’administration était en mesure de démontrer que la qualification juridique donnée par les parties avait pour but d’éviter l’impôt, l’article 344 §1 CIR ne pouvait pas s’appliquer dans la mesure où la qualification choisie répondait à des besoins légitimes de caractère financier ou économique ;

• Le Tribunal ajoute que la qualification juridique n’a pas seulement pour but d’éviter l’impôt mais également de répondre à des besoins légitimes de caractère économiques ou financiers et que dès lors le contribuable a le droit de choisir la voie la moins imposée.

Etant donné que le contribuable pouvait suite à la cession d’usufruit disposer immédiatement de l’entièreté du prix de cession par opposition à un contrat de location dont les loyers auraient été échelonnés sur la durée du contrat, ceci justifie selon la Cour que la qualification juridique donnée par les parties à l’acte répond à des besoins légitimes de caractère financier ou économique.    

Notons à cet égard que le Tribunal se distancie des décisions rendues par la commission des accords fiscaux préalables qui s’est prononcée à plusieurs reprises sur la question.

Dans la première décision , l’unique argument soulevé par le dirigeant d’entreprise était qu’il manquait de liquidités pour financer l’achat ou la construction d’une nouvelle habitation familiale. Cet argument fut rejeté par la Commission.

A l’occasion d’une deuxième décision , la Commission fut amenée à se prononcer à propos de l’achat d’un immeuble dont la nue-propriété était acquise par les associés et l’usufruit par la société. L’opération était motivée par le fait que l’établissement financier auprès duquel la société souhaitait contracter un prêt exigeait des garanties supplémentaires de la part des associés sous la forme d’un apport en capital. Les associés ne disposant pas des moyens financiers nécessaires pour effectuer ledit apport, ils entendaient procéder à l’opération telle que décrite ci-avant. 

La commission rétorqua que dans les deux hypothèses, à savoir l’acquisition de la nue-propriété ou l’apport en capital à la société, les associés devaient conclure un prêt. Que l’acquisition de la nue-propriété constitue une garantie pour les associés relativement au prêt qu’ils contractent et n’est par conséquent pas une garantie supplémentaire pour la société. La Commission en conclut qu’il n’était pas démontré que la qualification juridique donnée par les parties réponde à des besoins légitimes de caractère financier ou économique dans le chef de la société.

En outre, il est dommage que dans le cas d’espèce, le Tribunal d’Anvers ne se soit pas prononcé explicitement sur la possibilité de requalifier une convention d’usufruit en contrat de location long terme. Il a simplement décidé que l’article 344 §1 CIR ne trouvait à s’appliquer, la qualification juridique donnée par les parties à l’acte répondant à des besoins légitimes d’ordre économique ou financier. 

A ce propos, nous pouvons nous demander si l’argument avancé par les parties à savoir la faculté de disposer immédiatement du prix de la cession est propre à la cession d’un droit d’usufruit.  En effet, même si ce n’est pas l’usage, rien ne s’oppose juridiquement à ce qu’un loyer soit payé de manière anticipative.  Aussi, l’argumentation avancée par les parties serait sans effet dans le cas d’espèce.

En pratique, la première étape est de s’interroger sur les possibilités de requalification au lieu de s’efforcer de démontrer que l’acte réponde à des besoins légitime de caractère économique ou financier. 

En effet, le raisonnement sous-jacent à l’application de l’article 344 §1 du CIR est un raisonnement en trois temps :

2. L’(les) acte(s) juridiques incriminé(s) doit(ven)t pouvoir être requalifié(s) ;

3. La requalification peut être opérée si la qualification juridique choisie par les parties vise exclusivement à éviter l’impôt ;

4. Sauf si le contribuable peut prouver que l’opération réponde à des besoins légitimes de caractère économique ou financier.

Dans son jugement du 6 janvier 2003, le Tribunal de Première Instance d’Anvers s’est prononcé en faveur de  l’application de l’article 344 § 1 du CIR à tout le moins en ce qui concerne la requalification qu’a opérée l’administration fiscale tout en laissant aux contribuables la possibilité d’apporter ultérieurement la preuve de besoins légitimes de caractère économique ou financier.

Les faits sont les suivants, une société acquière l’usufruit d’une maison d’habitation pour une durée de 27 ans, un couple - dont l’un des époux est administrateur de ladite société - et leurs deux enfants acquièrent quant à eux la nue-propriété du bien dans les proportions suivantes à savoir 60% - 40%. 

La société donne ensuite partiellement l’immeuble en location aux époux dont question ci-avant aux termes d’un bail conclu pour une durée maximale de 9 ans. 

L’administration fiscale suivie par le Tribunal de Première Instance d’Anvers requalifie ces opérations en invoquant l’article 344 § 1 CIR. 

Sur base des motifs et du dispositif de ce jugement, il appert que l’administration fiscale requalifie les actes dont question ci-avant, à savoir l’achat de l’immeuble pour partie en usufruit par la société et pour partie en nue-propriété par les parents et leurs enfants suivi de la location par la société usufruitière aux époux, en un bail consenti par lesdits époux à la société. En fait, de façon étrange, l’administration requalifie le prix d’achat de l’usufruit en un loyer payé anticipativement et impose corrélativement les « revenus fictivement perçus » à titre de revenus immobiliers dans le chef de l’un des époux et à titre de rémunération de dirigeant d’entreprise dans le chef  de l’autre époux.  

Cette décision n’a pas manqué de nous interpeller en ce qu’elle méconnaît selon nous les principes élémentaires qui sous-tendent l’application de la mesure anti-abus que constitue l’article 344 § 1 CIR . 

En effet, l’acte (ou les actes) dont la qualification est inopposable doi(ven)t être requalifié(s) conformément à la loi . 

Il en résulte relativement au cas d’espèce deux implications majeures.

La première est que la qualification que l’administration fiscale entend substituer à celle adoptée par les parties doit résulter de la loi, l’article 344 § 1 CIR  ne permettant pas à l’administration de procéder à une requalification qui serait fondée sur un critère particulier comme par exemple les conséquences économiques des actes considérés. En ce sens, il n’y a aucune dérogation au droit commun. 

D’autre part, l’application de l’article 344 § 1 CIR n’est applicable qu’aux actes par rapport auxquels les parties ont une marge de manœuvre quant à leur qualification. Les actes incorrectement qualifiés et les actes qui ne sont pas susceptibles de faire l’objet de plusieurs qualifications légales échappent à l’application de la disposition.       

En d’autres termes, lorsque l’administration substitue à la qualification adoptée par les parties une nouvelle qualification, elle se doit de respecter les effets juridiques de(s) l’acte(s) incriminé(s). Il n’est ainsi pas question pour les autorités fiscales de préférer à la qualification adoptée par les parties une qualification incorrecte ou fausse qui méconnaîtrait à la fois les effets juridiques « externes » et la réalité juridique des actes critiqués ou encore, une qualification fondée sur les conséquences économiques des

actes .        

Th. Afschrift  précise d’ailleurs à ce sujet : « Ce n’est donc lorsque plusieurs qualifications, toutes correctes en droit et conformes aux faits, sont possibles, c'est-à-dire sont applicables aux faits et aux actes accomplis par les parties, que l’article 344 § 1 entre en jeu ». 

Aussi des actes posés par les parties dans le cas soumis au Tribunal de Première Instance d’Anvers, à savoir l’achat de l’usufruit par la société, de la nue-propriété par le couple de contribuables et leurs enfants à concurrence de 60%-40% et la location par la société aux époux, il nous semble difficile d’admettre que ceux-ci réalisent en fait une seule opération consistant en une location par la société auxdits époux.

Cette position revient incontestablement à faire table rase de la réalité juridique afférente aux actes entrepris par les protagonistes, à nier les relations juridiques existant entre eux et à faire prévaloir une relation fictive purement fiscale - qui aux dires même du Tribunal d’Anvers ne porterait pas atteinte aux conséquences civiles des actes - qu’une correcte application de l’article 344 § 1 ne permet pas. 

Dans le même ordre d’idées, le Tribunal en requalifiant le droit d’usufruit dont est titulaire la société en un contrat de location (dont les loyers seraient payés anticipativement) consenti par les deux époux à cette dernière fait fi des caractéristiques spécifiques propres à chacun de ces droits  mais aussi de la « titularité » de ces droits dans leur chef, l’usufruit étant payé à un tiers et non pas aux époux.

En effet, force est de constater que outre des différences de traitement comptables quoique pas toujours déterminantes dans le cas d’une convention de location-financement, il existe des différences notables quant au traitement juridique des deux conventions et de leur objet, qui ne relèvent pas uniquement de la sémantique.

Parmi les plus significatives nous avons, entre autres, relevé que :

• L’usufruitier est titulaire d’un droit réel, absolu, lui permettant d’agir directement contre les tiers en cas de trouble de jouissance. Il bénéficie des avantages découlant de la protection possessoire, de l’action en revendication, du droit de suite et de préférence. Le preneur n’est détenteur que d’un simple droit de créance.

• Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparation, ce qui n’est pas le cas du nu-propriétaire.

• Le nu-propriétaire n’est tenu qu’aux grosses réparations, ce qui n’est pas le cas du bailleur qui est tenu aux réparations autres que les réparations locatives. 

• L’usufruit portant sur un immeuble est à ranger parmi les biens immobiliers alors que le droit du preneur même s’il porte un immeuble reste un droit mobilier. 

• L’acte de constitution d’usufruit est un acte translatif, opposable aux tiers dès sa transcription à la conservation des hypothèques.

• L’usufruitier est titulaire d’un double droit celui d’user de la chose et celui d’en percevoir les fruits au même titre que le locataire si ce n’est que concernant ce dernier, il n’a pas droit aux revenus non périodiques. L’usufruitier peut en outre grever son droit d’une hypothèque ou consentir un droit d’emphytéose. En ce sens, l’usufruitier bénéficie incontestablement de droits plus étendus que le locataire. 

• L’usufruit est, contrairement au bail, un droit viager. Cette règle est d’ordre public.

• L’usufruitier peut mettre fin unilatéralement à son usufruit, ce qui n’est pas le cas du preneur etc...

Si nous convenons qu’il est théoriquement concevable à coup de clauses contractuelles de dénaturer et de faire ressembler au point de les confondre une convention de location à une convention de constitution d’usufruit et réciproquement; il n’en reste pas moins qu’il relèvera de l’exégèse de considérer que les deux qualifications sont équivalentes en tous points et de procéder à une requalification d’une convention de constitution d’usufruit en une convention de bail compte tenu de la nature intrinsèque du droit d’usufruit et de ses différentes caractéristiques par rapport à celle du droit au bail. 

En d’autres termes même si nous rejoignons le point de vue de certains auteurs et du Tribunal en ce qu’une telle requalification est « conceptuellement » possible, il semble qu’en pratique, elle sera extrêmement difficile, voire impossible à démontrer compte tenu des différences existant entre ces deux droits. 

En revanche, la simulation constitue à notre sens une arme bien plus redoutable dans l’hypothèse où il est démontré que les parties n’ont pas respecté toutes les conséquences de leurs actes comme par exemple les formalités en matière de conflits d’intérêts, et notamment dans le cadre de la cession d’un usufruit d’un terrain non bâti le fait que les factures de constructions soient adressées au dirigeant d’entreprise plutôt qu’à la société usufruitière du terrain , etc…. 

2.4.        Régime des  plus-values

2.4.1.    Taxation des plus-values réalisées dans le cadre de la gestion normal d’un patrimoine privé

 

Nous ne ferons ici que rappeler brièvement les grandes lignes du régime de taxation au titre de revenus divers des plus-values réalisées à l’occasion de la constitution d’un droit d’usufruit sur un immeuble bâti ou nu par un dirigeant d’entreprise agissant dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé.

Les articles 90 8° et 10° CIR permettent de taxer au titre de revenus divers les plus-values réalisées à court terme par une personne physique à l’occasion de la cession à titre onéreux de certains immeubles bâtis ou non-bâtis ainsi que de droits réels autres qu’un droit d’emphytéose ou de superficie ou qu’un droit immobilier similaire portant sur les même biens.

L’expression « droits réels autres qu’un droit d’emphytéose ou de superficie ou qu’un droit immobilier similaire » couvre, entre autre, le droit d’usufruit .

D’autre part, le Ministre des Finances a récemment fait valoir que la constitution d’un droit d’usufruit est à considérer comme une cession de droit réel à laquelle sont applicables les dispositions précédentes . Cette position Ministérielle a fait l’objet de critiques de la part de certains auteurs  dont l’un des arguments rappelle qu’un texte clair n’est pas sujet à interprétation. 

En ce qui concerne la détermination du montant de la plus-value réalisée à l’occasion de la constitution d’un droit d’usufruit portant sur un immeuble bâti ou non-bâti, elle est déterminée par application de l’article 54 de l’Arrêté Royal d’exécution du CIR. 

2.4.2.    Taxation des plus-values réalisées dans le cadre d’opérations spéculatives

Si la plus-value réalisée à l’occasion de la constitution du droit d’usufruit ne tombe pas sous le champ d’application des dispositions précédentes, encore faut-il apprécier si l’opération n’a pas été conclue avec intention spéculative avant de conclure à l’absence de taxation. L’article 90, 1° CIR impose, au taux distinct de 33%, les bénéfices ou profits occasionnels réalisés à l’occasion d’une vente d’immeuble ne faisant pas partie du patrimoine professionnel quand l’opération intervenue excède les limites normales de la gestion d’un patrimoine privé.

L’appréciation de l’existence ou non d’une intention spéculative est une question de fait, laissée à l’appréciation du juge. Il existe à ce sujet une jurisprudence abondante dont nous ne ferons pas état ici. 

Relevons simplement que parmi les principaux critères pris en considération parfois isolément, parfois cumulativement par les Cours et Tribunaux, il y a le financement de l’opération par emprunt, l’importance du gain par rapport à la mise initiale, la rapidité des opérations effectuées, la fréquence des opérations….. 

III.        IMPLICATIONS JURIDIQUES, COMPTABLES ET FISCALES SUITE A L’ERECTION   

              DE CONSTRUCTIONS PAR LE SOCIETE USUFRUITIERE

A supposer que l’usufruit porte sur un terrain à bâtir, nous analysons ci-après les conséquences de l’érection de constructions par la société usufruitière.

1.            Les aspects juridiques

Lorsque le dirigeant d’entreprise consent à sa société un droit d’usufruit sur un terrain à bâtir et que cette dernière érige des constructions sur celui-ci dans le but de mettre le bien à disposition du dirigeant d’entreprise, il convient de circonscrire les droits des deux parties relativement aux bâtiments lorsque rien n’a été convenu dans l’acte de constitution d’usufruit.

L’article 546 du Code civil stipule que la propriété d’une chose, soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur tout ce qui s’y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement. Ce droit est le droit d’accession. 

Il est admis que ce droit porte d’une part sur les éléments produits par la chose (accession par production) et d’autre part sur les éléments incorporés à la chose (accession par incorporation). Dans ce dernier cas, il convient encore de distinguer les règles qui ont trait à l’accession résultant d’un phénomène naturel, on parlera de l’accession naturelle de celles qui traitent de l’accession comme résultant du fait de l’homme, c'est-à-dire l’accession artificielle. 

Relativement aux constructions érigées par la société usufruitière il importe de s’interroger sur le moment à compter duquel elles deviendront la propriété du dirigeant d’entreprise. Est-ce au fur et au fur et à mesure de leur érection que ces constructions vont intégrer le patrimoine du nu-propriétaire ? En d’autres termes est-ce que l’accession opère avec effet immédiat ? Où est-ce au terme de l’usufruit que celles-ci deviendront la propriété du dirigeant d’entreprise, l’accession opérant de manière différée ?

L’on perçoit d’emblée toute l’importance de la question. 

D’un arrêt de la Cour de cassation française du 7 mars 1955  rendu à propos de constructions élevées par un locataire, situation mutatis mutandis transposable à celle qui nous occupe, et de la majorité des auteurs ayant traité de la question , il résulte que le principe de l’accession différée prédomine.

L’accession étant à considérer comme un mode volontaire d’acquisition de la propriété, l’accession s’opérera dès que le (nu-) propriétaire aura manifesté sa volonté d’acquérir les constructions élevées par l’usufruitier. 

L’article 578 du Code civil stipule que l’usufruitier a le droit de jouir du bien comme le propriétaire lui-même. Aussi lorsque l’usufruit porte sur un terrain à bâtir, il semble évident que la société usufruitière est en droit d’ériger sur celui-ci des constructions sans en altérer la substance, la substance d’un terrain à bâtir pouvant être définie dans le cas d’espèce comme la vocation dudit terrain à servir de support à des constructions. En ce sens, sauf clause contraire prévue dans l’acte de constitution, le nu-propriétaire n’est pas en mesure de s’opposer à pareille construction.

En d’autres termes, pendant toute la durée de l’usufruit, la société usufruitière est et demeure  naturellement propriétaire des constructions sans qu’il soit nécessaire de stipuler dans l’acte constitutif d’usufruit que le (nu-)propriétaire renonce à l’accession au profit de l’usufruitier.

En ce sens, l’acte de constitution du droit d’usufruit constitue par lui-même une preuve permettant de renverser la présomption contenue dans l’article 553 du Code civil qui précise que toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l’intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir, si le contraire n’est pas prouvé.

Selon le Professeur J. Hansenne , en pareil cas, l’usufruitier doit être considéré comme titulaire d’un droit de « superficie-conséquence » en manière telle que si l’on ne se trouve pas devant un droit de superficie issu d’une convention auquel serait applicable la loi de 1824 réglementant le droit de superficie, ce droit résulte inéluctablement du caractère volontaire et différé de l’accession .

Ce droit de superficie accessoire sera opposable aux tiers sans autre formalité que la transcription de l’acte de constitution de droit d’usufruit lui-même sauf simulation.

2.           Aspects comptables et fiscaux

En droit comptable, l’avis de la Commission des Normes Comptables précise que le sort des constructions érigées sur terrain d’autrui doit s’analyser au regard de la convention conclue. Dans le cas d’espèce, si la convention d’usufruit ne prévoit rien en matière de construction, comme nous l’avons vu précédemment, la société usufruitière est propriétaire des biens. Dès lors, cette dernière activera les constructions et sera redevable du précompte immobilier y relatif. 

La société usufruitière pratiquera également des amortissements à concurrence de la durée du contrat restant à courir ou sur la durée d’utilisation du bien si celle-ci est plus courte . Cette position est également défendue par la Doctrine .

Le Tribunal de Première Instance de Namur en date du 26 juin 2002  a quant à lui confirmé que la période d’amortissement à prendre en considération est celle qui correspond à la durée de la convention. Le tribunal fonde sa décision, entre autres, en se référant au commentaire administratif 61/265 relatif aux constructions érigées par le locataire, situation mutatis mutandis transposable à notre hypothèse comme nous l’avons mentionné ci-avant.     

Enfin, sur le plan des droits d’enregistrement, un acte portant constitution droit de superficie doit, en principe, être enregistré et sujet à un droit proportionnel de 0,2% perçu sur le montant cumulé des redevances et des charges imposées au superficiaire pendant toute la durée de la convention. Cependant, s’agissant d’un droit de superficie considéré comme l’accessoire d’un contrat d’usufruit, il ne pourra être question de la perception d’un tel droit. En effet, ce droit est couvert par le droit de 12,5/10 % perçu sur la convention principale, à savoir la convention de constitution d’usufruit.    

IV. CONSEQUENCES FISCALES EN CAS DE MISE A DISPOSITION GRATUITE DU  

             BIEN AU PROFIT DU DIRIGEANT D’ENTREPRISE  

1.          Conséquences dans le chef du dirigeant d’entreprise

Lorsque l’immeuble sur lequel porte l’usufruit est mis gratuitement à disposition du dirigeant d’entreprise, celui-ci pourrait être imposé sur base d’un avantage en nature.

L’article 32 CIR dispose que les rémunérations des dirigeants d’entreprise comprennent « les avantages, indemnités et rémunérations analogues à celles qui sont visées à l’article 31, alinéa 2, 2° , à savoir les avantages de toute nature « obtenus en raison ou à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle ».

Cet avantage doit donc « trouver sa source dans l’exercice, par celui qui l’obtient, de son activité professionnelle ; qu’il se rattache à cette activité ; qu’il en constitue un produit direct ou indirect, principal ou accessoire. En d’autres termes, il doit y avoir un lien causal, une relation de cause à effet, entre l’exercice de l’activité professionnelle et l’obtention de l’avantage » .

L’article 18 de l’Arrêté Royal CIR établit à cet égard des règles d’évaluation forfaitaire en cas de mise à disposition gratuite d’immeubles.

L'avantage est fixé forfaitairement comme suit : 

a) Lorsque le revenu cadastral de l'immeuble ou de la partie de l'immeuble est inférieur ou égal à 745 EUR, l’avantage est fixé à 100/60 du revenu cadastral de l'immeuble ou de la partie de l'immeuble, multiplié par 1,25 

b) Lorsque le revenu cadastral de l'immeuble ou de la partie de l'immeuble est supérieur à 745 EUR, l’avantage est fixé à 100/60 du revenu cadastral de l'immeuble ou de la partie de l'immeuble, multiplié par 2; 

S'agissant d'une habitation meublée, l'avantage est majoré de 2/3. 

A ce sujet, il est important de noter que l’application de l’article 18 de l’Arrêté Royal CIR et des règles d’évaluation forfaitaire y figurant est impérative sans que les autorités fiscales puissent leur préférer une évaluation fondée sur la valeur réelle de l’avantage qui excéderait l’évaluation forfaitaire. Ceci a été confirmé par la Cour d’Appel de Gand en date du 4 décembre 2002 .   

5.             Conséquences dans le chef de la société

En vertu de l’article 49 CIR, sont déductibles à titre de frais professionnels les frais que le contribuable a faits ou supportés pendant la période imposable en vue d’acquérir ou de conserver les revenus imposables et dont il justifie la réalité et le montant au moyen de documents probants.

Or suivant une jurisprudence constante de la Cour de Cassation, la déduction d’une dépense ou d’une charge exposée par une société est conditionnée également par son rattachement nécessaire à l’exercice de son activité sociale . 

La Cour d’Appel de Liège dans un arrêt du 10 mars 1999  a refusé la déductibilité de frais relatifs à l’érection d’une maison d’habitation et supportés par une société de médecins, titulaire d’un droit d’emphytéose consenti à titre onéreux sur un terrain appartenant aux gérants de cette dernière. A cette occasion, la Cour a justifié son refus par le fait qu’il est donc incontestable que les dépenses d’une société doivent être en rapport de nécessité avec l’activité sociale telle qu’elle est définie dans ses statuts; Qu’il résulte de ces statuts que si la société peut réaliser des opérations immobilières, ces opérations doivent être nécessaires à la réalisation de son objet social (…) Que la Cour ne perçoit pas en quoi la réalisation d’un immeuble d’habitation (…) dont il n’est pas démontré qu’il serait affecté (…) à l’objet social plutôt qu’à d’autres activités (…) ne rentrant pas dans l’activité médicale répondrait aux impératifs requis par  la loi pour que les charges afférentes à la constitution de cet actif soient déductibles conformément à l’article 49 CIR..  

La Cour en conclut donc que l’opération revêt un caractère de libéralité.

Dans le cas d’espèce, il est important de souligner que les médecins payaient un loyer équivalent à la rente versée dans le cadre du droit emphytéose. En outre, la convention ne prévoyait aucune indemnité pour les constructions érigées sur le terrain. Dès lors, la société n’était pas en mesure de dégager un quelconque profit de cette opération.

La référence aux activités de la société telles qu’elles se trouvent définies dans ses statuts, c'est-à-dire par référence à l’objet social de la société fut également avancée par la même Cour d’Appel dans un arrêt du 28 avril 1999 , confirmé par la Cour de Cassation en date du 18 janvier 2001, pour refuser la déduction de dépenses inhérentes à des opérations de type « option call » et « option put »  effectuées par une société dont l’objet social ne prévoyait pas ce type d’opérations. 

A la lumière de ces arrêts récents, faut-il craindre que l’administration avance les mêmes arguments, c'est-à-dire se fonde sur le fait que les dépenses relatives à l’érection de la construction et à l’entretien de la maison d’habitation exposées par la société usufruitière sont inhérentes à une activité qui ne relève pas de l’objet social de cette dernière afin d’en refuser la déduction ? 

Nous ne le pensons pas d’une part, cette condition n’est pas reprise à l’article 49 CIR comme l’ont rappelé certains auteurs . D’autre part, la notion d’objet social statutaire ne peut être prise en considération pour déterminer la déductibilité d’une charge. C’est au contraire la notion d’activité sociale qui doit être retenue, à savoir l’activité de la société qui produit des revenus taxables, même si cette activité sort de l’objet statutaire.

A propos de la situation qui nous occupe, nous estimons que la question de savoir si la mise à disposition gratuite d’un bien immeuble au profit du dirigeant entre bien dans l’activité sociale ou dans l’objet statutaire de la société n’est pas pertinente. Un raisonnement  bien plus simple conduit à la déductibilité des charges  y afférant.  L’article 195 CIR prévoit que les dirigeants d’entreprise sont assimilés à des travailleurs pour l’application des dispositions en matière de frais professionnels et leurs rémunérations ainsi que les charges sociales annexes à celles-ci sont considérées comme des frais professionnels. En vertu de l’article 32 CIR, les rémunérations des dirigeants d’entreprise comprennent notamment les avantages, indemnités et rémunérations d’une nature analogue à celles qui sont visées à l’article 31, alinéa 2, 2° à 5°  à savoir pour le 2°, les avantages de toute nature obtenus en raison ou à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle.

La mise à disposition gratuite de l’immeuble étant un avantage de toute nature taxé dans le chef du dirigeant d’entreprise, celui-ci est donc déductible sur base de l’article 195 CIR.

En outre, il n’est pas inutile d’établir un parallèle avec le commentaire administratif 66/41. Ce commentaire traite de la déductibilité des frais de voiture, dans le cas où un véhicule luxueux est utilisé exclusivement pour l’usage privé d’un cadre et que celui-ci est taxé sur l’avantage de toute nature correspondant. Le commentaire précise que pour éviter la double taxation, il n’y a pas lieu de limiter la quotité des frais qui se rapporte à l’usage du véhicule et de ce fait admet donc la déductibilité totale des frais du véhicule même à considérer qu’il excède les besoins dudit cadre. 

Transposé à notre cas d’espèce étant donné que le dirigeant d’entreprise est imposé sur un avantage de toute nature, il y a lieu d’accepter la déductibilité des coûts inhérents à la construction dans le chef de la société et ce afin d’éviter la double taxation.  En effet, si l’administration accepte la déductibilité totale de frais pour une voiture luxueuse, elle ne peut à fortiori refuser la déductibilité des frais de l’immeuble mis gracieusement à la disposition du dirigeant.        

V. IMPLICATIONS JURIDIQUES ET FISCALE LORS DE L’EXTINCTION DU DROIT D’USUFRUIT

Lors de l’extinction du droit d’usufruit, le dirigeant d’entreprise, nu-propriétaire, recouvrera la pleine propriété de son immeuble et deviendra propriétaire par accession des constructions érigées par sa société sans être redevable du droit proportionnel d’enregistrement de 10/12,5%. 

Il est de pratique courante que les dirigeants d’entreprise ne payent aucune indemnité en contrepartie des constructions dont ils deviennent propriétaires.

Aussi il nous a semblé important de circonscrire sous ce titre les obligations légales du nu-propriétaire à cet égard et corrélativement les implications fiscales y afférentes. 

1.           Principes d’indemnisation

Nous avons vu que l’usufruitier a le droit d’user et de jouir du bien, pourvu qu’il en respecte la destination.

Nous avons également mentionné que, dès lors que l’usufruit porte sur un terrain à bâtir, l’usufruitier respecte la destination de la chose lorsqu’il décide d’ériger des constructions sur celui-ci.

Il existe en matière d’usufruit une règle particulière édictée par l’article 599 du Code civil qui précise que l’usufruitier ne peut à la cessation, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il a faites, encore que la chose soumise à son droit en soit augmenté.  

La Cour de Cassation  et la majorité de la Doctrine  considèrent que le terme amélioration ne peut être étendu à toutes les constructions qui respectent la substance de la chose et certainement pas à de nouveaux bâtiments dont la valeur dépasse largement le montant des revenus de l’usufruit.

Si ces bâtiments ne qualifient pas d’amélioration, c’est vers le droit commun qu’il convient de se tourner pour dégager les principes généraux en matière d’indemnisation de telles constructions, partant du postulat qu’à terme, le dirigeant d’entreprise entendra conserver le bâtiment construit par sa société.     

A ce sujet, il existe deux positions quant au montant de l’indemnité à payer.

Les partisans de la première considèrent que l’article 555 du Code civil doit prévaloir et s’applique également au locataire ou à l’usufruitier . 

L’article 555 du Code civil implique que soient distingués les travaux susceptibles d’enlèvement de ceux qui ne sont pas susceptibles d’enlèvement; de jurisprudence constante , la disposition précitée ne s’applique qu’aux premiers.   

La Cour de Cassation dans l’un arrêt précité du 23 décembre 1943 précise que pour qu’un ouvrage soit susceptible d’enlèvement, il doit s’agir d’une chose dont l’existence comme telle se conçoit  indépendamment de sa réunion à la chose principale. Inversement, précise-t-elle, il s’agit de travaux non susceptibles d’enlèvement lorsqu’il s’agit d’éléments d’ouvrages exécutés sur la chose principale et qui s’y trouvent désormais absorbés ou confondus.

Ainsi il est généralement admis que des constructions sur un terrain non bâti ou l’édification d’une annexe à un bâtiment existant, constituent des travaux susceptibles d’enlèvement.

Il en résulte que le nu-propriétaire qui décide de conserver les constructions érigées par l’usufruitier à l’expiration de son droit d’usufruit devra rembourser à l’usufruitier la valeur des matériaux et du prix de la main-d'oeuvre, sans égard à la plus ou moins grande augmentation de valeur que le fonds a pu recevoir.   

Cependant, la jurisprudence actuelle refuse de recourir à l’article 555 du Code civil pour régler le sort des constructions érigées par l’usufruitier ou le locataire et de son indemnisation pour lui préférer le principe général de l’enrichissement sans cause . Selon ce principe l’indemnisation est fixée à concurrence de la plus petite des deux sommes représentant l’appauvrissement du constructeur et la plus-value donnée à l’immeuble.

Force est cependant de constater que l’article 555 du Code civil n’est ni impératif, ni d’ordre public au même titre que le principe général de l’enrichissement sans cause auxquels les parties peuvent déroger. Il ressort de ce qui précède que d’un point de vue juridique, l’indemnisation est la règle, ce qui sous-tend indéniablement  nous semble-t-il la logique économique.

2.           Conséquences fiscales de l’absence de payement d’indemnités

En application de l’article 32, 2° CIR, l’administration fiscale pourrait taxer « l’avantage » dont retire le dirigeant d’entreprise qui obtient gratuitement par accession la propriété des constructions à l’expiration du droit d’usufruit.

Le Ministre des Finances avait précisé lors d’une réponse à une question parlementaire  qu’il y présomption que tout avantage consenti par une société constitue une attribution imposable à un dirigeant d’entreprise, cette présomption pouvant être renversée en établissant que l’avantage ne trouve pas sa cause dans la fonction de dirigeant d’entreprise ou qu’il aurait pu être obtenu si aucune fonction de dirigeant d’entreprise n’avait été exercée.   

En outre, l’article 36 CIR précise que les avantages de toute nature qui sont obtenus autrement qu’en espèce sont comptés pour leur valeur réelle. Nous sommes d’avis que cette valeur réelle doit correspondre à la valeur de marché de l’immeuble bâti à l’expiration de l’usufruit.

L’on constate à cet égard qu’il n’y a pas homogénéité entre le droit fiscal et le droit civil, ce dernier prévoyant comme nous l’avons vu ci-avant que l’indemnisation doit correspondre à la plus petite des deux sommes représentant l’appauvrissement du constructeur et la plus-value donnée à l’immeuble.

VI. CONCLUSION 

L’opération par laquelle un dirigeant d’entreprise entend par le biais de la constitution d’un droit d’usufruit sur un terrain bâti ou à bâtir transférer les coûts liés à la construction et à l’entretien des immeubles à sa société peut comporter certains risques fiscaux. En effet, bien qu’elle nous semble critiquable, la décision récente du tribunal d’Anvers ne permet pas d’exclure tout danger.

C’est pourquoi, il y a lieu d’observer certaines règles de prudence afin de réduire le risque de requalification au maximum.

Tout d’abord, au moment de la constitution de l’usufruit, l’acte y relatif devra respecter la nature intrinsèque et les caractéristiques du droit réel qu’est le droit d’usufruit et ce afin d’éviter soit une requalification en contrat de bail soit que l’administration invoque la simulation. 

Ensuite il est important que le dirigeant d’entreprise soit taxé à l’occasion de la mise à disposition gratuite afin d’assurer de la déductibilité des coûts dans le chef de la société.

Enfin, à l’expiration du droit d’usufruit, le dirigeant d’entreprise devra indemniser sa société à concurrence des constructions que celle-ci aura réalisées.     

Il s’agit là, nous semble-t-il, de mesures de prudence mais au combien nécessaires afin de pouvoir habiter à moindre frais dans un immeuble qui tôt ou tard deviendra la propriété du dirigeant.